Orliane Luc Therbé

Date d'expiration

Jeudi, 08 mars 2018

image par Denny Franzkowiak

Expression Inuit : « Partir sur la glace ».

Une légende Esquimaux, que j’ai toujours trouvée un peu raciste, veut que lorsque les personnes âgées deviennent un poids pour leur village, ils se retrouvent sur une calotte glacière poussée par les membres du village pour mourir hors-de-vue.

journalière : le grand-père inuit d'un jour de north qui s'en va mourir au loin sur une calotte glacière

J’étais trop jeune pour comprendre l’image dans North, ce film américain des années ’90, de Rob Reiner, mettant en vedette Elijah Wood, Kathy Bates et Graham Greene, qui s’adoptent pendant quelques temps. La scène où ils font leurs adieux au grand-père de façon nonchalante, presque avec joie m’a été inconfortable, même pré-ado. Si choquée, je fus, que, malgré ma fameuse mémoire de poisson rouge, j’ai retrouvé ce film en quelques clics.

En fait, dans les pays Nordiques et chez les Inuits ‑ l’autre étant un terme vraiment péjoratif et qui n’est plus utilisé ‑, avant l’avènement de la pension de vieillesse, le vieillard ne pouvant plus chasser et la vieillarde n’ayant plus de dents pour travailler la peau de phoque se portent volontaire pour le suicide, une forme de régulation démographique. Ils commencent par mentionner leur longue existence à leur entourage, à énumérer leurs accomplissements et à se reprocher ce qu’ils ne peuvent plus faire.

 

Par la suite, le plus souvent, ils demandent à leur garçon favori de les assister : les hommes préférant le fusil, les femmes, la strangulation par garrot jusqu’à brisure de la nuque. D’autres textes indiquent que s’ils en ont encore la force, les hommes partent en kayak sur un lac et le renversent, ou les femmes se jettent du haut d’un rocher dans la mer. Parfois, ils s’éloignent du groupe, du village, en pleine tempête ou restent dans un igloo abandonné jusqu’à trépas. 

De peur d’offenser les quinquagénaires, je pense que l’arrivée de la moitié du centenaire est un excellent moment pour une grande réflexion. Une longue évaluation/réévaluation de sa santé physique et mentale, de sa situation sociale, de ses objectifs et rêves est parfaite pour anticiper l’autre longue moitié. Parce qu’avec les avancées de la médecine, dans les pays industrialisée, atteindre la centaine n’est plus rare.

 

Mon grand-père maternel est mort en Haïti à 99 ans, ma mère a été grandement déçue qu’il ait manqué son centième anniversaire. Sa mère n’a pas réussi à atteindre les 90 années, morte en Haïti, il y a deux ans. Ma grand-mère paternelle les a passées et est en assez bonne forme, gardée par sa fille aînée au chaud en Floride. J’ai donc de très bonnes chances de vivre vieille. Pourtant, je ne m’imagine pas me rendre à ces âges. Je ne veux pas me l’imaginer.

 

À quoi ressemblerais-je, de corps et d’esprit, à l’approche de la centaine ?

Le suicide assisté, qui est surtout pour les personnes en phase terminale d’une maladie incurable, a soulevé bon nombre de débats, de tous les côtés. « Les balises ne seront pas respectées ! », « où s’en va la morale ? », « c’est notre vie, on peut en faire ce qu’on veut ! », « le gouvernement veut se débarrasser des vieux ! », « les Québécois sont-ils si désespérés de vivre ? »…

 

Je ne suis pas rendue à m’étendre sur ce sujet, ne souffrant rien de grave, en espérant ne pas tenter le sort en écrivant ce texte. Je ne côtoie même pas les malades. Je travaille en tant qu’agente administrative pour le Service des soins à domicile pour personne en perte d’autonomie. Par contre, la plus grande impression qui me reste souvent à la fin de la semaine : « Va me falloir plusieurs enfants plus tard, parce que le système de santé ne sera pas adéquat pour le taux croissant de bénéficiaires âgés quand viendra mon tour. »

 

Autre constat qui ressort de ce travail, je remarque que peu importe leur condition de vie, peu importe leur âge avancé, nos bénéficiaires veulent vivre. Le taux de suicide chez les personnes âgées est plus bas que le taux national au Canada, contrairement aux États-Unis (le double), la France, la Belgique, etc. Au Québec, le taux de suicide chez les 80 ans et plus est de 17,1 par 100 000 habitants, tandis que pour les 40-44 ans, il est de 37,1.

 

Le « désespoir de vivre des Québécois » ne m’apparaît pas assez crucial pour sonner l’alarme apeurée de l’euthanasie de masse. Mais quand on doit prêcher pour sa paroisse et ses brebis, laissons la peur dictée les conversations sur le suicide assisté. 

« Va me falloir plusieurs enfants plus tard, parce que le système de santé ne sera pas adéquat pour le taux croissant de bénéficiaires âgés quand viendra mon tour. »

Pourquoi diantre est-ce que je propose une évaluation de sa vie à 50 ans ? Je ne propose à personne une analyse dont le résultat doit être macabre, mais une évaluation est toujours de mise. « On sait où on est rendu, on sait où on s’en va. » C’est aussi un propos que je tiens depuis le début de ma vingtaine quand je ne pus plus échapper à certaines évidences chez ma personne. Encore 15 ans et 3 mois avant que je me lance dans ma grande réflexion. Et, je plaisantais plus tôt, je ne veux pas d’enfants et pas du tout envie de me marier. Je comprends et accepte beaucoup mieux mon asexualité, alors m’embarrasser de quelqu’un qui voudra sûrement procréer pour sa pérennité, très peu pour moi.

 

Alors, si la continuation et l’évolution de mon bagage génétique ou le don de ma personne en tant que parent d’adoption ne m’intéressent pas, pourquoi suis-je toujours ici ? Qu’est-ce que je veux vraiment laisser derrière moi ?

Petite parenthèse : pendant près de 10 ans, j’ai été suivi par un psychologue. Nous nous sommes séparés seulement en septembre 2016. Je me pensais capable d’affronter ce nouveau défi qu’était l’obtention de mon certificat à l’UQAM, prête à vivre par moi-même, pour moi-même et pour mes rêves d’écriture. Je ne suis pas guérie – est-ce que la dépression se guérie tout à fait ? – mais je n’ai jamais vraiment pensé au suicide par désespoir. Je n’ai jamais été assez acculée au mur par les hormones de mon cerveau et le dégoût de ma propre existence pour penser à m’ôter la vie.

 

J’y ai plutôt pensé de façon candide et hypothétique. Me sachant un peu moumoune, l’idée seule de survivre à une tentative de suicide m’horripile et peut avoir été la seule raison pour laquelle je n’y ai jamais pensé avec sérieux. Je ne supporte pas la douleur, très très peu de tolérance. J’ai des chaleurs et des palpitations quand vient le temps d’une prise de sang : alors survivre au métro, à un pont, à une pendaison, pas question. 

 

Fin de la parenthèse.

 

Personne ne pense que le projet de loi C-14 sur l’aide médicale à mourir, qui a reçu la Sanction royale en juin 2016, aidera les gens, sains de corps et d’esprit, passé un certain âge, qui sont convaincus d’avoir assez vécu, à mourir sur le dos des contribuables. Malgré les hauts cris.

 

Pour ma part, je sais quand le moment sera venu pour moi de dire Sayonara à ma famille et mes amis. Lorsque j’aurais jugé, avec toutes mes connaissances sociales, personnelles et morales, que les futures années seront trop dures pour mon physique et mon mental. Que j’aurais accompli ma mission existentielle. Que le monde extérieur n’aura pas changé d’une miette, car tournée en rond comme un hamster dans sa cage n’est pas un futur que je trouve reluisant.

 

Mourir ne me fait pas trop peur, je ne suis pas certaine que ce soit mon athéisme qui me donne ce courage. Je crains le moment de souffrance pouvant précéder la mort, je ne connais pas le futur, je ferai attention, mais une voiture perdant le contrôle est vite arrivée. Je crains surtout de ne pas atteindre mes objectifs d’écriture. Ma seule raison de vivre est de laisser derrière moi des textes qui seront lus bien longtemps après ma mort. Pas comme si j’allais m’en rendre compte, hein  ?

 

Ne laisser que des souvenirs s’effaçant avec le temps dans les cœurs d’êtres aimés ou mon nom gravé sur une pierre tombale, si je ne me fais pas incinérer et jeter dans les eaux des Caraïbes, seraient de bien tristes legs.

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